Les cuisines africaines peuvent-elles se passer des bouillons en cube ?
Lorsque Justus Von Liebig, chimiste allemand, lança la production industrielle d'un extrait de viande liquide et sirupeux au milieu du 19e siècle, il était loin de se douter que 100 ans plus tard, son invention allait révolutionner les traditions culinaires en Afrique de l’Ouest.
Conçu au départ pour enrichir les repas des plus démunis et servir de carburant aux masses ouvrières européennes, l’extrait de viande va vite se décliner sous diverses formes; en poudre, en granulés, mais surtout sous forme de cubes.
Si les bouillons alimentaires en cube se sont imposés comme l’aide culinaire préférée des cuisines ménagères à travers le monde, en Afrique de l’Ouest, ce bouillon possède un statut bien différent.
Ils font désormais partie des ingrédients de base des plats les plus traditionnels et on les retrouve quasi dans toutes les cuisines familiales ou professionnelles.
Une habitude alimentaire qui ne serait pas sans risque, car la consommation excessive de ces cubes fortement chargés en sel et en additifs chimiques n’est pas compatible avec une alimentation saine.
Heureusement, il existe des alternatives pour garder les avantages conférés aux bouillons en cube, sans mettre notre santé à risque.
Comment expliquer le succès des cubes de bouillon ?
Ajoutés dans les marmites, saupoudrés sur les grillades ou émiettés dans une assiette, les cubes de bouillon sont devenus incontournables dans la plupart des cuisines africaines, au point d’en être devenus un élément distinctif.
Une habitude fortement encouragée par les producteurs de cubes, car en Afrique, le marché des bouillons alimentaires est un business extrêmement rentable.
De l’or en cube
Ce cube magique a été introduit sur le marché africain par la marque suisse Maggi. Profitant de l’essor du commerce colonial, elle s’est rapidement imposée dans les foyers locaux, tirant parti de son monopole jusqu’à l’arrivée dans les années 70 de la marque espagnole Jumbo.
Face à une demande croissante, Nestlé et Gallina Blanca, les deux sociétés qui possèdent respectivement Maggi et Jumbo ont fini par implanter des filiales en Afrique de l'Ouest.
Ce qui leur permit de ne plus dépendre des importations, mais également d’offrir des cubes répondant aux différents goûts régionaux. Les petits cubes sont même proposés à l’unité, afin d'accommoder toutes les bourses.
Pour créer la préférence dans le cœur des cuisinières, les deux multinationales ne lésinent pas sur les moyens pour devenir omniprésentes dans la vie quotidienne des consommateurs.
Points de vente peints aux couleurs des marques, spots et panneaux publicitaires, sponsoring d'événements populaires, les bouillons alimentaires sont partout.
Mais depuis quelques années, des acteurs locaux sont entrés dans la course, bien décidés à revendiquer leur part du gâteau. Des marques, dont une grande majorité appartiennent à la société sénégalaise Patisen.
Au Sénégal, l’industrie du bouillon est donc un marché bien juteux, ce qui explique probablement que les cubes soient désormais taxés à 25%.
Goûteux, rapide et pas cher
Cet amour inconditionnel pour le petit cube s'explique souvent par sa facilité d’utilisation et son coût peu élevé. Pour quelques dizaines de francs, une cuisinière qui ne peut pas se permettre l’achat de viande ou du poisson peut quand même donner du goût à ses plats.
Néanmoins, le prix de ces bouillons que l'on trouve même dans les placards des familles plus favorisées ne suffit pas à expliquer leur popularité.
Comme vous le savez, la plupart de nos plats traditionnels nécessitent normalement de longues heures de cuisson. Un procédé qui leur apporte une certaine saveur, que l’on retrouve généralement dans la plupart des plats mijotés.
Cette saveur, identifiée au début du 20e siècle par le chimiste japonais Kikunae Ikeda, est appelée umami. Un mot japonais que l’on pourrait traduire par “goût délicieux”. L’umami fait partie des cinq goûts primaires que reconnaissent nos papilles, avec le sucré, le salé, l’amer et l’acide.
Le composant essentiel de l’umami est le glutamate monosodique, un acide aminé que l’on trouve naturellement dans toutes les protéines animales et végétales. C’est un puissant exhausteur de goût, c’est-à-dire une substance qui a la capacité de renforcer les saveurs d’une denrée alimentaire ou d’un plat.
Présent dans nos petits cubes de bouillon sous forme chimique, le glutamate permet donc aux cuisinières pressées d’atteindre la saveur umami, sans devoir passer de longues heures en cuisine.
Quels sont les risques sanitaires à l’égard des cubes de bouillon ?
Vous avez probablement déjà entendu parler des risques sanitaires liés à l’usage excessif des cubes de bouillon. Mais concrètement, en quoi ces cubes peuvent-ils compromettre notre santé?
Un produit ultra transformé
Comme tous les produits alimentaires fortement transformés, les bouillons en cube contiennent un grand nombre d’additifs qui peuvent être naturels ou chimiques.
Ces additifs sont destinés à conférer une certaine texture, des goûts ou des odeurs aux produits, à assurer leur stabilité, à allonger leur durée de conservation, mais également à renforcer les saveurs déjà présentes.
Certains de ces additifs sont inoffensifs, d’autres ne sont pas très recommandés et il y en a même qui devraient être évités par des personnes qui y sont plus sensibles.
D’après une analyse effectuée par le Réseau National des Chambres d’Agriculture du Niger,les 18 marques de cubes de bouillon vendues à Niamey (dont 11 marques fabriquées au Sénégal), contiennent toutes au moins deux ingrédients “à éviter” ou “non recommandés”.
Toutes ces marques contiennent :
● du sel (en très grande quantité)
● des exhausteurs de goût chimiques
● de l’huile
● des colorants chimiques
● des arômes chimiques
Cette étude révèle également que sur les 8 bouillons "goût poulet” analysés, aucun ne contient d’extrait de poulet, les goûts étant apportés par les arômes chimiques.
Seule une marque de bouillon “goût crevette” comporte effectivement de la poudre de crevette dans sa liste d’ingrédients. Ceci peut expliquer le prix très abordable des cubes.
Trop de sel et d'additifs chimiques
Mais ce qui est reproché à ces bouillons tient plus des ingrédients utilisés que de qualité. Le reproche principal fait aux cubes de bouillons industriels est la quantité de sel qu’ils contiennent.
Alors que la dose de sel quotidienne par adulte recommandée par l’Organisation Mondiale de la Santé est de 5 gr maximum, la plupart de ces cubes qui pèsent entre 10 gr et 12 gr contiennent entre 40% et 50% de sel.
Un individu qui consomme un cube de bouillon entier en un repas atteint ou on dépasse sa dose de sel quotidienne en ce seul repas. Une habitude qui serait à la base d’un nombre croissant de cas d'hypertension et de maladies cardiovasculaires.
Afin de diminuer ce risque, les cubes de bouillon vendus au Sénégal (produits localement ou importés) doivent désormais contenir un maximum de 55% de sel.
Le second reproche fait aux bouillons en cube est l’utilisation du glutamate monosodique, ce fameux exhausteur de goût que nous avons déjà évoqué.
Son utilisation n’est interdite par aucune instance de régulation au niveau mondial et sa qualité d’exhausteur de goût peut même permettre de réduire la quantité de sel dans les aliments.
Néanmoins, de plus en plus de recherches font état de son effet neurotoxique pouvant conduire à des maladies neurologiques.
On cite également son effet addictif, qui expliquerait pourquoi certaines personnes n’arrivent pas à s’en passer.
Et enfin, certaines personnes y seraient allergiques et s’exposeraient à de vrais risques sanitaires en le consommant.
Quelles sont les alternatives saines aux bouillons en cube ?
Alors faut-il balancer tous vos cubes de bouillon à la poubelle ? Nous avons envie de répondre par la négative, car comme dit l’adage, “c’est la dose qui fait le poison”. Autrement dit, comme dans tout, il faut éviter les excès.
Utiliser les bouillons correctement
Ajouter un cube dans sa marmite pour donner du goût à une sauce est une chose. En mettre deux, trois, voire plus, en est une autre. Surtout si on y ajoute encore du sel.
Il est également important de bien comprendre pour quels usages ces cubes de bouillons ont été créés. À la maison ou dans les établissements de restauration, il est courant de voir les petits cubes proposés à table au même titre que le sel ou le piment.
Or, comme l’explique Anto Cocagne, cheffe cuisinière d’origine gabonaise dans un épisode du podcast Le goût du monde de RFI, «le bouillon est conçu pour être dissous dans de l’eau chaude. Il ne doit en aucun cas être saupoudré sur les plats ou ajouté tel quel dans des préparations froides. »
Retour aux produits naturels
La cheffe Anto rappelle également qu’au départ le cube était une aide destinée à réduire les temps de cuisson trop longs. Malheureusement, continue-t-elle, il a fini par s’imposer au détriment même des épices traditionnelles. La conséquence étant une uniformisation des goûts et la perte progressive de la spécificité des saveurs de nos plats.
Face à ce constat, on voit fleurir de nouvelles marques d’aides culinaires, qui se donnent pour mission de défendre nos patrimoines gastronomiques, notamment en faisant la promotion d' épices et de condiments locaux et naturels.
C’est le cas de la marque Reen, qui propose une large gamme de mélanges d’épices dédiés à la cuisine sénégalaise.
Quant à la marque togolaise Africube, disponible sur notre plateforme, elle propose des sticks de bouillons en poudre faible en sel, à base d’épices et d’aromates 100% naturels.
Les aides culinaires « maison »
Si vous êtes adepte du "fait maison", vous pouvez vous fabriquer vos propres aides culinaires. Vous avez l’option de préparer vos mélanges d’épices sèches que vous pourrez conserver facilement longtemps dans des bocaux.
Vous pouvez également choisir de préparer vos pâtes de condiments. Avec une base d'épices, d’aromates et de légumes, vous pouvez les personnaliser à l’infini selon vos goûts et vos besoins. Vous pouvez y ajouter des jus de cuisson de vos viandes ou poissons, des poudres de crustacés ou de tout autre ingrédient que vous avez dans vos placards.
Des condiments à utiliser tout de suite, garder au frais pour une utilisation ultérieure ou congeler dans des sacs de congélation ou des bacs à glaçons pour une plus longue conservation.
Pour stimuler votre créativité, vous pouvez vous inspirer des recettes de « bouillons » maison proposées par la blogueuse food sénégalaise Aistou, de Aistou Cuisine.
Au-delà des bouillons alimentaires
Les bouillons alimentaires industriels occupent une place bien ancrée dans les cuisines africaines.
Malgré les informations qui mettent en cause leur utilisation excessive, ils sont là pour durer, car les habitudes ont la vie dure.
Cependant, il est toujours possible de les utiliser à bon escient ou même de les remplacer par des alternatives plus saines.
Mais au-delà de l’usage des bouillons en cube, l’alimentation saine est une préoccupation de plus en plus présente dans beaucoup de foyers.
Un des premiers pas dans cette direction serait de limiter la consommation de produits ultra transformés. Une pratique hélas devenue fréquente à cause de nos rythmes de vie de plus en plus rapides.
Heureusement, il existe divers moyens de diminuer notre consommation de produits industriels. Des sujets qu'on pourra aborder dans des articles ultérieurs.